L’éveil de la conscience

“ L’Homo sapiens, depuis son apparition, n’a cessé d’inventer et d’enrichir un imaginaire d’une singulière beauté qui permît aux premières collectivités de prendre conscience de leur identité, de proposer des solutions à la problématique démesurée de la création du monde des dieux, des hommes.“ (La création des Dieux. Histoire des religions. Pierre Lévêque, Marie-Claude L’Huillier. Ed CERF.)

Le dédoublement en deux mondes.

C’est la loi de l’évolution qui a permis l’éclosion des premières civilisations. En se redressant, “ celui qui marche debout “ a vu son crâne se modifier, son front devenir vertical libérant ainsi de l’espace pour la naissance du néocortex. Le cerveau est alors monté en cylindrée, atteignant le niveau actuel, soit 1200 cm3 pour un poids de 1,4 kg. S’il est difficile, voire impossible de situer le siège de la conscience, on sait que certaines de ses propriétés résident dans le néocortex, et que c’est la position verticale qui a rendu possible le développement de celui-ci.

Homo Sapiens peut alors agir sur la réalité quotidienne qui, à l’époque se résume à la cueillette, la chasse, la pêche et l’acte sexuel. Il mémorise les plantes comestibles, celles qui ont des vertus thérapeutiques ; il apprend des techniques de chasse en groupe ; il copule face à face. Que découvre-t-il dans les yeux de l’autre ? Quels sentiments s’emparent du couple lors de cette plongée dans le regard ? En mémorisant ces différents apprentissages, l’Homme acquiert une compréhension du monde, une maîtrise de son environnement, et des échanges particuliers avec les membres de sa horde. Mais ce qu’il ne comprend pas, ce qu’il ne maîtrise pas prend des tonalités angoissantes. C’est alors qu’il se crée en lui un double du monde réel, un monde imaginaire peuplé de puissances supérieures soucieuses de son destin. Cette réponse face aux angoisses de la forêt est une force on ne peut plus positive, car l’homme n’est plus seul dans ses relations nécessairement conflictuelles avec les autres, et avec la forêt nourricière, mais également meurtrière.

Il y a déduplication du réel avec deux réalités qui s’affirment, l’une quotidienne, l’autre sacrée. Celle-ci s’organise en un mythe porté par une tradition orale. Le mythe explique tous les phénomènes qui échappent à son entendement ; il participe également à la cohésion de la communauté en lui donnant des valeurs fondamentales reconnues par tous.

“ L’expérience du réel et du mythe – le mythe aidant à dominer le réel – permet à l’homme de développer une certaine logique qui deviendra le cadre incontournable de son action et de ses progrès.“ (Ibid).

Les Déesses Mères.

Quelles étaient donc ces premières représentations qui peuplaient l’imaginaire de nos ancêtres chasseurs cueilleurs, à cette époque où l’espérance de vie ne dépassait pas 20, 25 ans ? Des images à connotation sexuelle ! On parle d’art paléolithique en évoquant les peintures /gravures rupestres de Lascaux ou d’Altamira, ou encore des vénus du Périgord. On a d’abord pensé que ces représentations collaient à la réalité ; nos ancêtres féminines, poitrine opulente, hanches larges, ventre gonflé, fesses énormes auraient toutes été atteintes d’obésité ! En fait, il n’en est rien. Il s’agit plutôt d’une représentation que l’on pourrait nommée expressionniste, comme ce mouvement de peinture, “Die Brücke“, apparu au début du XXè siècle qui cherche à exprimer les états d’âme, l’inquiétude, l’angoisse de l’avenir. En fait, c’est d’un art hautement symbolique. Tous ces attributs évoquent la maternité et représente la Mère Nature incarnée dans des Déesses Mères. La “ Vénus de Laussel “, sculptée sur un bloc de pierre a été découverte en Dordogne ; elle est une illustration de la Déesse-Mère enceinte. Elle tient dans sa main droite une corne de bison gravée de treize entailles tandis que sa main gauche est posée sur son ventre. Parmi les hypothèses retenues par les chercheurs (site internet, les Hominidés.com), nous en retiendrons deux : la corne, symbolisant l’abondance, symbole de richesse et de nourriture pour le clan. Mais alors, pourquoi ces treize entailles ?

L’autre hypothèse voit une Déesse de la fécondité, la main gauche sur le ventre, geste protecteur d’une femme enceinte ; la main droite tient la corne, symbole phallique et les treize entailles seraient une sorte de mode d’emploi de la fécondité. Elles seraient une évocation des treize mois lunaires de vingt-huit jours et du cycle menstruel d’une durée moyenne de vingt huit jours. De nos jours, on entend encore : – tu attends tes lunes ? ou – tu as tes lunes ? Ceci souligne le degré d’observation et d’abstraction atteint par l’humanité.

Le principe mâle était le Grand Cornu : cornes de renne, tête, barbe d’homme, pattes de félin, figure mi-homme, mi-animal, le dieu cornu reproducteur. L’homme et l’animal confondus dans un même principe, désignent une atmosphère de solidarité entre le monde animal et le monde humain. L’animal tué est comme un ami. Voici les paroles que les Sioux Lakota adressaient au bison tué nommé Tatanka : – Tu es le fruit de notre mère la Terre qui nous fait vivre… C’est pourquoi tu seras placé au centre du cercle de la nation… Il y a maintenant une âme sainte au milieu de notre cercle… La chair qui se situe sur tes épaules doit être consommée par quatre jeunes filles. Ainsi, elles et leur descendance seront dotés de grands pouvoir…

L’ours était considéré comme un maître des animaux ; En Dordogne on a découvert une tombe consacrée à cet animal. Pourquoi tant de travail pour enterrer un animal si ce n’est qu’on le considère comme sacré et qu’en agissant ainsi, on va s’attirer ses faveurs ? Est-ce un reliquat de cette pensée sauvage que nous retrouvons dans l’affectif partagé avec les nounours de notre enfance.

De la Fécondité à la Mort.

Il n’y avait donc pas de différence importante entre puissances animales et puissances humaines, mais différenciation fondamentale entre masculin et féminin. L’union du féminin anthropomorphisée et du principe mâle encore incarné par des animaux est bien le résultat d’une pensée créatrice qui révèle que cette union est une hiérogamie, acte sexuel sacré entre les dieux, acte qui renouvelle les forces de la Nature et par conséquent de l’Humanité qui fait corps avec elle.

Par cet acte imaginaire, l’Homme invente le concept de Fécondité, il fonde la vie même de l’univers sur la coopération/contradiction du féminin et du masculin, installant ainsi une sorte d’équilibre, d’harmonie entre Nature et Humanité. Mais la grande Déesse Mère porteuse et protectrice de vie qui reproduit hommes et animaux est également celle qui la reprend : Déesse de la lune, de la chasse et des morts complètent ainsi son fonctionnement de Grande Mère Universelle. Apparaissent au paléolithique les premiers rites d’inhumation : usage de l’ocre, couleur du sang et de la vie, pour recouvrir le squelette. Des rites spécifiques concernent le crâne. Certains portent des traces d’une mutilation qui a servi à extraire la cervelle, sans doute pour s’en nourrir au cours d’un repas ritualisé et s’attribuer ainsi les énergies internes du défunt. On a retrouvé en Italie un crâne mutilé placé au centre d’un cercle de pierres, ce qui confirme que le mort est censé posséder une puissance spirituelle, même après son trépas. La mort n’est donc plus une fin.

L’émergence du monde de la conscience, associé au réel, est donc indissociable de l’émergence du monde de l’imaginaire qui, à l’origine, était un monde sacré peuplé d’esprits, de dieux, de déesses. Les rituels sont comme des ponts construits entre les deux mondes. Aujourd’hui encore, on fait appel au rituel afin de passer du monde profane au monde sacré…

Il est impossible de situer avec précision l’instant d’éveil de la conscience ; sans doute est- elle le fruit d’une lente évolution ? Il est possible également que des événements traumatiques aient déclenché des prises de conscience successives entrainant des changements d’attitudes.

L’éveil de l’aube.

Un matin très tôt, un homme est assis au bord d’un lac. Les ténèbres l’enveloppent ainsi qu’un brouillard épais. Il a froid, il est inquiet. L’aube qui point dissipe quelque peu les ténèbres, mais pas le brouillard ; l’homme n’est plus dans le noir, mais dans le gris. Dans cette grisaille, il distingue la rive, les galets, quelques rochers et l’eau du lac. Levant la tête, il voit les premières branches de l’arbre sous lequel il est assis. Il entend les premiers chants d’oiseaux, le clapotis régulier des minuscules vagues qui s’échouent devant ses pieds. Le temps s’écoule, les tonalités de gris sombre virent lentement au gris clair. Tout à coup apparait, dans ce paysage uniforme, un rayon jaune pâle, étroit et diffus, qui vient frapper le visage de l’homme qui s’éclaire d’un sourire. Puis le rayon disparait laissant voir dans une déchirure du brouillard la boule jaune du soleil et l’eau scintillante du lac. La déchirure s’élargit et restent quelques bancs de brume qui s’étirent dessinant des ombres vivantes, derniers vestiges de la grisaille et qui s’évanouissent comme par magie dans le néant, tandis qu’apparait une variété de formes ; le paysage se dévoile alors dans toute sa diversité. La grise atmosphère humide et pesante qui enveloppait l’homme a disparu. Il voit, il entend, il ressent la chaleur. Tous ses sens en éveil, il observe désormais Mère Nature dont il ne peut qu’admirer l’ineffable beauté. Cette expérience répétée chaque matin, lui fait prendre conscience de sa place au sein ce de cette Mère Nature. Son imaginaire lui raconte alors une histoire, l’histoire de l’éternel combat pour la vie, affrontement sans cesse renouvelé de l’ombre et de la lumière.

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